Un poème

Espoir fugace

Il est dur d’avoir de l’espoir. Et malgré le temps qui passe,
il reste insaisissable. Car il ne dépend pas seulement du bonheur
mais reste ancré dans ces mirages de solitude au cœur de la nuit.
Cela nous surprendra surement, mais vous aussi, vous avez cessé de
croire en la réalité immuable du futur,
et l’espoir n’en est que plus insaisissable lorsqu’il n’est plus concevable
ni souhaité. Mais ne tergiversons plus.
La jeune génération demande à l’ancienne d’espérer. Alors que leur direz-vous?
Ayez l’honnêteté de leurs dire ce que vous vous dites à vous-mêmes.

Car égoïstement nous avons préféré considérer nos vies avant même
de considérer ce qui nous fait vivre, les forêts sont ruinées, les champs rongés,
les courants pollués, les montages écroulées. L’espoir
est alors d’appartenir à un endroit en ayant connaissance
de ce qui le différencie de tout autre endroit, et,
en le chérissant plus que n’importe quel autre, cette connaissance
ne pourra nous être enlevée, ni par la force, ni par l’argent.
Grâce à elle, vous n’entendrez plus les influents lorsqu’ils
qui réclameront votre foi, vous n’entendrez plus les riches lorsqu’ils exigeront vos terres
ou votre labeur. Restez marmoréen face à eux et préférez écouter
la mélodie des rivages, la mélopée des arbres et le chant des grands espaces.

Trouvez votre espoir, celui-là même que vous foulez à chacun de vos pas.
Votre espoir du Paradis, laissez-le reposer ici-bas.
Le monde n’est pas mieux que les endroits qui le constituent. Et, enfin,
ces endroits-là, ne sont pas mieux que leurs peuples alors que les peuples
les habitent. Si les peuples assombrissent la lumière
qu’ils portent en eux, alors le monde s’obscurcit.

Wendell Berry (Traduction non officielle de l’anglais)

L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Mondialisons la lutte, mondialisons l’espoir!

Elizabeth Mpofu, coordinateur général de La Via Campesina

Un proverbe africain dit : « Si tu veux aller vite, pars seul, mais si tu veux aller loin, pars accompagné ».
Je pense que la lutte pour la souveraineté alimentaire se trouve dans la dernière partie du proverbe. Elle représente une solution mondiale durable à la question de notre cohabitation avec la nature et les peuples à l’heure de nous nourrir. C’est une lutte qui nécessite des alliances permettant la complète reconnaissance et mise en pratique des droits paysans mais aussi l’équité et l’égalité aux niveaux social, économique et écologique. Tout ceci ne peut être atteint que par une action commune, collective, en alliance avec différents mouvements, différentes régions, différentes cultures et différents genres afin d’assurer une solidarité mondiale et d’obtenir un réel changement.
Pour construire et parvenir à la souveraineté alimentaire, il faut impérativement travailler et collaborer avec les autres –les paysans, les autochtones, les pêcheurs, les femmes, les hommes, les chercheurs évolutifs, les consommateurs…– pour pouvoir repenser les techniques agricoles et la mobilisation internationale. En partageant nos idées, en produisant des connaissances, nous sommes capables de former une société basée sur la justice et la solidarité, nous sommes capables de créer des communautés d’inclusion saines et d’améliorer la cohésion et l’intégration sociales. La Via Campesina connait l’importance des alliances, et ensemble, nous travaillons main dans la main avec d’autres mouvements et organisations pour promouvoir la souveraineté alimentaire dans de nombreux espaces, autant au niveau national qu’international. Les résultats sont visibles, la souveraineté alimentaire est incluse dans bon nombre de mesures, inscrite dans les constitutions de certains pays et, dans d’autres, des débats sont en court sur les mesures à prendre.

Aujourd’hui, la souveraineté alimentaire est un concept bien vivant grâce au travail permanent des alliances. C’est une lutte pour des systèmes alimentaires locaux basés sur l’agroécologie, l’accès aux marchés locaux, l’accès et le contrôle des ressources comme les terres, l’eau, les semences, etc., la reconnaissance des droits paysans et la résistance à l’agriculture industrielle comme les accords de libre-échange (ALE) ou les sociétés transnationales.

L’écho des campagnes 2

L’Etat de Palestine : reconnu internationalement pourtant exempt de souveraineté alimentaire

Jamal Talab, Centre de recherche sur la terre, Palestine

La perte de la souveraineté alimentaire pour les peuples d’un Etat occupé peut surement doubler les impacts négatifs de la violation de leur droit fondamental à une vie digne. L’Etat de Palestine, reconnu comme Etat membre par les Nations unies, ne possède pas encore une complète souveraineté, dont au niveau des ressources naturelles. L’occupation israélienne contrôle 80% des eaux souterraines ainsi que 64% du territoire même de la Palestine, réservé pour l’extension illégale de colonies selon la Résolution 2334 de décembre 2017 des Nations unies.
En outre, l’occupation israélienne a construit un mur de l’apartheid (de 774 km), elle a ouvert des routes réservées seulement aux colonies (couvrant 1 270 km), elle a confisqué 50% des terres palestiniennes et arraché presque deux millions d’arbres fruitiers, dont 70% étaient des oliviers vieillissants. Elle a établi pas loin de 488 colonies et avant-postes sur les flancs des collines et des montagnes palestiniennes, pompé des eaux usées non traitées et envoyé les polluants (pesticides et engrais) vers les terres agricoles palestiniennes, entrainant la pollution des plantes et la dégradation des terres.

Le concept de la souveraineté alimentaire permet aux peuples de contrôler leur chaine ainsi que leur système alimentaires. Néanmoins,  tous les concepts ne sont pas applicables en Palestine. De plus, l’occupation assiège la bande de Gaza depuis presque dix ans et Israël détient un contrôle intégral des terres, de l’air et de l’eau. Les pêcheurs n’ont accès qu’à 25% du kilométrage autorisé en mer, affectant ainsi négativement leur capacité de pêche ainsi que leurs revenus.

La présence de presque 742 postes de contrôle israéliens en Palestine restreint considérablement le déplacement ou le transport des biens. Par-dessus tout, Israël a imposé des mesures d’obstacle qui détruisent les marchés locaux et empêchent les Palestiniens d’entrer en contact avec les producteurs ou les consommateurs des marchés israéliens, bien plus organisés et modernes. Lors d’une grève de la faim de 41 jours (Mai 2017) pour la dignité et la liberté, les prisonniers palestiniens ont demandé à la communauté internationale de se joindre à leur cause, pour la reconnaissance totale de leurs droits et la souveraineté alimentaire.

L’écho des campagnes 3

Le mouvement des femmes et la souveraineté alimentaire

Sophie Dowllar, World March of Women

La marche mondiale des femmes a participé au Forum International de Nyéléni sur la souveraineté alimentaire au Mali en 2007 en tant que mouvement féministe et elle a permis aux femmes de s’exprimer en tant qu’entités politiques. L’un des aspects les plus importants de la souveraineté alimentaire est l’accès des femmes à la terre, à l’eau, aux semences et aux territoires. La terre devrait appartenir à ceux qui la cultivent. Aujourd’hui, ce sont les paysannes celles qui restent à la campagne et labourent la terre pour assurer la production alimentaire. Les paysannes se battent en permanence pour le sauvetage et le maintien de la biodiversité ainsi que la préservation des terres, cela se traduit par leur usage de pratiques durables et agro-écologiques. L’eau devrait être incluse dans le cadre de la souveraineté alimentaire. La privatisation et la marchandisation de l’eau comme bien commun est un crime contre la nature et contre l’humanité. Pour ces paysannes, protéger et sauvegarder les semences est une mission fondamentale et une manière de contribuer à la souveraineté alimentaire.

Afin de produire et de distribuer une alimentation nutritive pour tous, les mouvements des femmes sont déjà engagés dans différentes formes d’agricultures basées sur un modèle communautaire qui rassemblent les femmes vivant en ville et celles vivant à la campagne. Ces mouvements sont également impliqués dans des initiatives conjointes créant et renforçant les liens entre les femmes de différents secteurs : pêcheuses, migrantes, paysannes, écologistes, etc. Malgré les contradictions du fait de leur action dans une société capitaliste et patriarcale, ces initiatives créent des opportunités d’apprendre, d’organiser, de développer de nouvelles formes de convivialité, de forger des relations significatives pour une production alimentaire durable et pour résoudre les problèmes ensemble.  On trouve aussi une vision commune sur la préservation des semences, la souveraineté alimentaire et la relation entre les peuples et les territoires. L’affirmation du savoir et de la contribution des femmes à la production, à la préparation et à la distribution alimentaire est l’un des plus grands espoirs pour l’avenir nourri par le progrès de la souveraineté alimentaire. La reconnaissance de leur savoir autochtone et de leur contribution à la production, à la préparation et à la distribution alimentaire est nécessaire. La souveraineté alimentaire représente l’avenir.

L’écho des campagnes 4

Pourquoi choisir la souveraineté alimentaire

Zainal Arifin Fuad, Serikat Petani Indonesia (SPI)

La souveraineté alimentaire est un paradigme alternatif à la sécurité alimentaire qui a d’abord été adopté par le gouvernement indonésien en 2009 suite à un long combat de la Fédération des paysans indonésiens (SPI) pour contrer l’introduction du Cadre de la sécurité alimentaire adopté par la FAO en 1996 pour vaincre la famine. La souveraineté alimentaire ne concerne pas seulement les pénuries alimentaires, mais aussi la réforme agraire, la biodiversité, l’environnement, l’énergie, les droits des travailleurs, les consommateurs, les institutions économiques, les institutions financières, les marchés, les transports et la politiques, tous ces domaines constituantune géopolitique basée sur l’approche alimentaire. La mise en œuvre de la sécurité alimentaire renforce la pauvreté, la faim et les conflits agraires à cause de l’action des sociétés qui fournissent et contrôlent l’alimentation à travers la révolution verte, l’accaparement des terres et des marchés libres.

Par conséquent, la SPI réalise que la souveraineté alimentaire devrait être soutenue par toutes les composantes de la société civile (intellectuels, étudiants, ONG, femmes, travailleurs et autres mouvements sociaux) et du gouvernement. Le slogan de la Via Campesina « La lutte des paysans, la victoire du peuple » signifie que le combat pour la souveraineté alimentaire concerne tout le monde.

Actuellement, en Indonésie, de nombreuses lois limitent la souveraineté alimentaire de manière explicite et implicite, telles que la loi de la protection des terres pour une agriculture alimentaire durable (2009), la loi sur les denrées alimentaires (2012), la loi sur la protection et l’autonomisation des cultivateurs (2013) ainsi que le programme de développement de Jokowi (2014-2019). Néanmoins, la marche à suivre est compliquée voire paradoxale au niveau de la mise en œuvre. Il existe de nombreuses contraintes et d’interventions de la part de nombreux acteurs, à la fois nationaux et internationaux, qui souhaitent toujours mettre en œuvre la sécurité alimentaire. La FAO a déjà ouvert la porte à l’agro-écologie en 2014 et des processus sont en cours à la Commission des droits de l’Homme à Genève sur la Déclaration des droits des paysans. Par conséquent, la SPI et la Via Campesina poursuivent leurs combats au niveau local, ainsi que dans le domaine des politiques publiques aux niveaux national, régional et international.

L’écho des campagnes 5

Consommateurs et souveraineté alimentaire

Isa Álvarez, représentante d’URGENCI

Du point de vue des consommateurs, la souveraineté alimentaire est un droit essentiel pour s’assurer une vie pleine et digne. Il nous serait difficile d’envisager vivre dignement si notre autonomie dans notre choix d’alimentation était limitée.

De nos jours, le système capitaliste considère les citoyens principalement de deux manières : comme une force de travail pour alimenter le système de production, ou comme une niche dans le marché de consommateurs qui fait perdurer ce marché. Dans le même temps, grâce à des mécanismes de publicité massive, ce système a engendré un monde imaginaire où le consumérisme est le seul moyen d’accéder à ses droits, occultant complètement les droits humains, dont tous les citoyens disposent dès la naissance.

Il devient de plus en plus urgent que ce soit les peuples qui décident de leurs propres directives politiques dans tous les domaines, mais particulièrement dans celui de l’alimentation et de l’agriculture. Aujourd’hui, le marché mondialisé, qui est dans les mains des sociétés transnationales, nous inonde de produits sur-transformés qui nous empoisonnent, tout en suggérant que ces produits représentent le progrès et le citoyen moderne. Cela mène non seulement à la disparition d’autres formes d’alimentation plus adaptées à nos réels besoins, mais aussi à celle des petits agriculteurs et paysans.

Les impacts négatifs de ces produits comestibles (non alimentaires) sur notre santé sont déjà évidents. Curieusement, face à cette évidence, certaines fausses solutions pointent du doigt la responsabilité des citoyens – notamment celle des femmes – assumant leur rôle au foyer, comme si le fait de décider de ce que l’on mange dans le monde actuel était un acte libre dans un environnement neutre. Au contraire, nous ne devrions pas oublier le rôle et la capacité des politiques publiques de choisir (ou pas) nos produits alimentaires, ainsi que la nécessité de ces politiques de devenir le fruit de processus participatifs entre tous les citoyens et non pas le résultat de pressions appliquées par les grandes sociétés transnationales, qui n’ont que peu, sinon rien à voir avec les besoins humains.

L’écho des campagnes 6

Le chemin vers la souveraineté alimentaires des peuples

Diego Montón, Secrétariat opérationnel – CLOC-Vía Campesina

Pour nous, il est impossible de parvenir à la souveraineté alimentaire des peuples dans le cadre du système capitaliste et patriarcal. De ce constat, il est nécessaire de bâtir un programme populaire basé sur la solidarité, la justice sociale et environnementale, la justice de genre ainsi que sur la souveraineté alimentaire.

Progresser vers la souveraineté alimentaire sur le continent disposant du plus haut niveau de concentration de terres revient à défendre la fonction sociale de la terre, mais aussi défendre les semences paysannes et résister à toute initiative visant à les privatiser. Par conséquent, le combat pour une réforme agraire intégrée et la construction de systèmes locaux de productions de semences sont des engagements essentiels pour la CLOC.

Parallèlement, nous devons transformer les modèles de production imposés par les sociétés transnationales et les classes dominantes au niveau national. La production agro-écologique est fondamentale pour conserver l’autonomie, la réalisation du droit  à l’alimentation et la durabilité environnementale des paysans et petits exploitants. Dans ce domaine, l’éducation et la formation jouent un rôle fondamental. C’est pour cette raison que la CLOC a créé l’IALAS ainsi que des écoles agro-écologiques dans divers pays.

Afin de renforcer le travail des paysans et des petits exploitants tout en créant des opportunités pour la jeunesse rurale, il est vital que l’état joue un rôle actif avec des politiques publiques qui devront :

  • Assurer un accès égal pour les femmes aux ressources et aux politiques
  • Assurer une vie digne dans les campagnes en garantissant un revenu minimum, une couverture de santé, l’accès à l’éducation et d’autres droits ;
  • Développer les agro-industries locales et de petites tailles dont la valeur ajoutée aux produits de base peut ainsi s’échanger sur les marchés urbains et locaux
  • Garantir des infrastructures aux marchés locaux
  • Subventionner le soutien logistique en transportant les produits des fermes jusqu’aux marchés
  • Définir différentes normes pour que les produits des paysans puissent être directement vendus sur les marchés locaux et éviter la concentration de population dans les villes à travers la planification urbaine et rurale
  • Renforcer les organisations de paysans et de petits exploitants
  • Promouvoir l’intégration entre les organisations populaires de la campagne et des villes qui leur permettent de débattre et de renforcer le statut de la souveraineté alimentaire comme droit pour tous les citoyens.

Afin de progresser sur cette voie, nous avons besoin d’États démocratiques forts ainsi que des résolutions de l’ONU qui contrôlent et pénalisent les sociétés transnationales et leurs pays d’origine lorsqu’ils commettent des violations des droits humains ou tentent de monopoliser le marché des denrées alimentaires. Dans le cadre de ces objectifs, tous les mouvements du continent travaillent main dans la main.

L’écho des campagnes 7

Faire progresser la souveraineté alimentaire au Népal

Balram Banskota, Fédération de tous les paysans népalais

La souveraineté alimentaire est devenue l’étendard de la Fédération de tous les paysans népalais (ANPFa), la plus grande organisation de paysans au Népal. Le mouvement paysan du Népal a tendu la main à ses homologues nationaux et internationaux afin d’ouvrir la discussion sur la souveraineté alimentaire à un plus large public. Ils la présentent comme un nouveau modèle pour le développement agraire et rural et l’opposent au paradigme de développement néo-libéral en s’orientant davantage vers le socialisme. C’était lors du Mouvement du peuples-II [Il est le nom donné aux troubles politiques contre le gouvernement non-démocratique du roi Gyanendra au Népal. Le mouvement est également connu sous le nom de Jana Andolan-II (le mouvement du peuple).] que le message du mouvement paysan et le concept de souveraineté alimentaire est parvenu au niveau local. Le peuple avait, d’un côté, la souveraineté alimentaire et de l’autre, l’agenda politique d’une république démocratique fédérale. C’est la raison pour laquelle il a été possible d’inscrire la souveraineté alimentaire comme droit fondamental pour le peuple. La nouvelle constitution du Népal (2015) garantit au peuple le droit à la souveraineté alimentaire tel qu’il est dicté par la loi (article 36 relatif aux droits à l’alimentation, sous-article 3). Pourtant, bien que ces accomplissements majeurs soient à souligner, les textes législatifs pour mettre en œuvre ces droits doivent encore être rédigés. L’instabilité politique au Népal perdure et a un impact sur l’hégémonie régionale et le capitalisme mondialisé. En effet, le gouvernement actuel, soutenu par les forces néo-libérales et le soutien technique de la FAO, rédige le projet de loi sur la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation à l’encontre du mandat de la constitution. Nous comprenons comment les forces antipopulaires agissent contre la souveraineté alimentaire et les autres droits progressistes qui garantissent la progression du Népal vers le socialisme. Nous sommes tous bien préparés à la sensibilisation et à la manifestation politique de masse nécessaires pour soutenir la souveraineté alimentaire. L’ANPFa dirige aussi le processus de rédaction du projet de loi sur la souveraineté alimentaire  pour mettre en œuvre les droits constitutionnels du peuple. Nous espérons que nous parviendrons bientôt à mettre en œuvre la souveraineté alimentaire au Népal malgré tous ces défis.

L’écho des campagnes 8

La souveraineté alimentaire témoigne de la richesse de notre lutte

Nettie Wiebe, Union Nationale des Fermiers (Canada)

Le terme de «souveraineté alimentaire» est devenu si familier et si fréquemment utilisé (et souvent mal utilisé) qu’il est difficile de se rappeler du temps où il ne faisait pas partie de notre vocabulaire.

Nous ne savons pas qui est à l’origine de cette formule, la « souveraineté alimentaire », mais nous savons comment et pourquoi elle est devenue une notion bien spécifique à La Via Campesina (LVC) et à d’autres mouvements. C’est un terme qui définit nos luttes, notre analyse et notre mouvement.

Le rassemblement qui a vu naître la LVC à Mons (Belgique) en 1993 a eu lieu dans un contexte où l’agenda néolibéral gagnait rapidement de la légitimité et du pouvoir grâce à des accords commerciaux régionaux et mondiaux, en particulier le GATT / OMC. En avril 1996, lorsque la première grande conférence a été organisée à Tlaxcala au Mexique, les centaines de représentants d’organisations paysannes, indigènes et rurales se sont unanimement opposés à ces politiques et pouvoirs qui menaçaient les paysans, les petits agriculteurs et les communautés rurales et indigènes à travers le monde.

Il n’a pas été difficile de mettre un nom sur ce contre quoi nous luttons – la destruction des communautés, des environnements, des cultures, des moyens de subsistance et des marchés locaux par l’agro-industrie et les gouvernements qui participent à cette destruction.

Il était en revanche plus difficile de nommer les alternatives en quelques mots. Je me souviens des débats nocturnes pendant lesquels nous tentions de trouver un terme qui désignerait ce pourquoi nous nous battons.

Le terme conventionnel de «sécurité alimentaire» ne convenait pas. Il s’agissait plus que de produire davantage de nourriture ou de la distribuer de manière plus efficace. Nous étions aux prises avec les questions fondamentales du pouvoir et de la démocratie: qui contrôle les ressources d’où viennent les ressources alimentaires comme la terre, l’eau, les graines et la génétique et à quelles fins? Qui décide de ce qui se développe, comment, où il est cultivé et pour qui? Notre langage devait exprimer les dimensions politiques de notre lutte.

La souveraineté alimentaire est un terme lourd de sens. Il induit le discours nécessaire quant au pouvoir, à la liberté, la démocratie, l’égalité, la justice, la durabilité et la culture. Les aliments ne sont plus seulement un simple produit de consommation. Ils sont réintégrés dans les contextes sociaux, écologiques, culturels et locaux et y sont reconnus comme sources de nutrition, comme moyens de subsistance.

Quelques mois plus tard, lors du Sommet Mondial de l’Alimentation à Rome, LVC a présenté publiquement certains des éléments de base du principe de souveraineté alimentaire. Et au cours des décennies qui se sont écoulées depuis, il est devenu un puissant transformateur, un concept largement utilisé qui englobe une multitude de luttes diverses dont l’objectif est de protéger la vie, de semer l’espoir et récolter la justice.

L’écho des campagnes 9

La souveraineté alimentaire au Forum Mondial des peuples pêcheurs à petite échelle 

« Nous, le peuple El Molo, coexistons avec la nature. Nos moyens de subsistance et nos traditions sont liés à la nature et au lac [Turkana] où nous pêchons. À El Molo, nous avons un dicton: “Conservez, protégez et maintenez le lac de manière durable afin qu’il puisse servir votre famille et votre communauté“, c’est la source de votre vie, une relation bilatérale. Il n’y a pas d’aspect commercial, il s’agit de survivre. » ChristianaLouwa, El Molo Forum, Nord du Kenya

L’importance de la souveraineté alimentaire est depuis longtemps reconnue par la direction du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP): la souveraineté alimentaire est un programme politique de petits producteurs alimentaires qui agissent pour la défense de nos rivières, de nos lacs, de nos océans et de nos terres. Elle est au cœur de notre lutte contre le système alimentaire néolibéral dominé par des sociétés multinationales qui, dans le contexte de la pêche, cherchent à privatiser et conférer les droits de pêche à quelques-uns seulement.

La souveraineté alimentaire nous offre un nouveau langage pour décrire ce qui constitue déjà le cœur et l’âme de la défense de nos territoires, de notre patrimoine et nos capacités à produire de la nourriture saine, bonne et abondante.

Elle fournit un cadre pour partager les connaissances et la sagesse indigènes, traditionnelles et nouvelles, et nourrir l’étude et le débat sur la souveraineté alimentaire chez les jeunes, les femmes et les hommes dans toutes les circonscriptions du Forum mondial des peuples pêcheurs. Notre vision s’appuie sur les «six piliers» de la souveraineté alimentaire [Définie au forum de Nyéléni pour la Souveraineté Alimentaire au Mali en 2007]:

  • Priorité aux aliments pour les personnes:

Les petits pêcheurs artisans et les marins sont au centre de la pêche et des politiques connexes et veillent à ce que la production alimentaire ne nuise pas aux générations futures.

  • Conférer des valeurs aux fournisseurs alimentaires:

Les droits humains de tous les petits pêcheurs impliqués dans l’ensemble de la chaîne de valeur de la pêche à petite échelle, y compris les jeunes, les femmes, les hommes et les pêcheurs autochtones, doivent être respectés et protégés.

  • Localiser les systèmes alimentaires:

Les communautés de pêcheurs décident indépendamment de leur propre système alimentaire. Ils sont au centre de la décision en ce qui concerne la transformation des produits de la pêche (salage, séchage, fumage, produits frais, gel, mise en conserve, etc.).

  • Mettre en place un encadrement local:

Les communautés de pêcheurs doivent avoir le contrôle sur les terres, les territoires aquatiques à l’intérieur des terres et la pêche maritime. Elles doivent aussi avoir accès aux zones de pêche – y compris les lacs, les rivières, les marais salants, les forêts de mangroves, les récifs coralliens et les eaux côtières -, un droit fondamental des communautés de pêcheurs.

  • Acquérir des connaissances et des compétences:

Les petits pêcheurs ont acquis leurs connaissances et compétences traditionnelles, coutumières et / ou autochtones sur plusieurs générations (transmises des parents aux enfants).

  • Travailler avec la nature:

Les petites communautés de pêcheurs partagent une longue histoire de travail et de respect de la nature. L’interconnexion entre les pêcheurs et la nature est profondément enracinée dans les traditions et les coutumes pratiques, en particulier pour les peuples autochtones, et elle s’exprime grâce à notre engagement envers l’agro-écologie. C’est sur la base de la souveraineté alimentaire que nous serons en mesure de lutter pendant la prochaine décennie. En mettant l’accent sur les jeunes, les femmes et les peuples autochtones, nous renforcerons la solidarité entre les mouvements de pêcheurs et les autres mouvements sociaux du monde entier.

L’écho des campagnes 10

Souveraineté alimentaire et AFSA

L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) entend la souveraineté alimentaire comme la lutte ultime pour protéger l’Afrique de l’agression du système alimentaire industriel. Jamais auparavant il n’y a eu de tentative plus coordonnée et mieux financée pour transformer les bases de l’agriculture paysanne africaine en une entreprise commerciale. Les politiques agricoles et alimentaires sont orientées vers des intérêts commerciaux. Grâce à des accords et à des transactions frauduleuses, nos gouvernements confient la responsabilité de nourrir l’Afrique aux entreprises. Le genre de production alimentaire envisagée par les entreprises est fortement orienté vers l’industrialisation de l’agriculture, s’appuyant sur des graines hybrides, des OGM et l’utilisation accrue d’engrais et de pesticides – ainsi que l’agriculture mécanisée et à grande échelle. Plutôt que d’être aidés, les producteurs alimentaires sont éliminés de leur système de production. Plutôt que d’intégrer les connaissances et l’expérience disponibles des producteurs alimentaires, les gouvernements font croire que la majorité des producteurs alimentaires ne sont plus nécessaires.

Ce processus permet également au patrimoine génétique de l’Afrique d’être privatisé par une poignée d’entreprises multinationales, tout en mettant à mal la contribution et le rôle de la diversité des semences locales et  des réseaux d’échange.

L’agriculture est utilisée pour déchirer notre tissu culturel et social, détruire notre environnement et pour nous subordonner aux forces du capitalisme mondial. Le bon côté, c’est que nous faisons de la souveraineté alimentaire et de l’agro-écologie notre histoire, notre solution et notre avenir. L’AFSA a fourni une plateforme politique d’envergure continentale sur la souveraineté alimentaire dans de nombreux endroits. Elle a également contribué à la discussion politique sur la souveraineté alimentaire et l’agro-écologie, élargi les programmes de souveraineté alimentaire pour pouvoir y inclure l’impact du système alimentaire sur la nutrition et la santé et a réussi à relever le problème de la Commission Économique et Régionale sur les lois relatives aux semences et à la biosécurité. L’AFSA a doublé ses membres pour atteindre 30 réseaux. Elle couvre maintenant 50 pays africains sur 56 et est reconnue aujourd’hui comme l’une des entités les plus encrées, les plus fortes et les plus importantes en Afrique. C’est une vaste plateforme pour les agriculteurs régionaux africains, les pêcheurs, les consommateurs, les jeunes, les femmes et les communautés religieuses, les réseaux d’organisations non gouvernementales africaines, entre autres alliés. L’objectif est d’amener davantage la cohésion continentale à un mouvement de souveraineté alimentaire déjà en développement en Afrique.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

La déclaration des Nations unies sur les droits paysans et paysannes et des travailleurs en zones rurales

Introduction
Les paysan-ne-s et les personnes vivant dans les zones rurales, tels que les pêcheurs artisanaux, les éleveurs ou les travailleurs agricoles, représentent encore aujourd’hui la moitié de la population mondiale. La grande majorité d’entre eux subissent constamment des violations de leurs droits : ils souffrent de manière disproportionnée de la faim et de la malnutrition, subissent l’accaparement de leurs terres, de leurs ressources aquatiques, halieutiques, forestières, semencières et sont dépossédés de leurs moyens de subsistance. Ils ne peuvent ni maintenir ou développer leur économie locale, ni gagner un revenu leur permettant de vivre dignement. Il arrive fréquemment qu’ils soient enfermés, harcelés, criminalisés, voire tués pour la défense de leurs droits. De plus, les femmes vivant en zone rurale supportent généralement une part plus importante de travail non rémunéré et subissent des discriminations plus importantes pour accéder aux ressources naturelles ou productives, aux services financiers, à l’information, à l’emploi ou à la sécurité sociale et subissent encore de multiples violences qui revêtent de multiples formes.

Depuis 2001, Le mouvement international paysan La Via Campesina (LVC) plaide pour une reconnaissance des droits des paysans au sein du système des droits de l’Homme des Nations Unies. Après huit années de discussions internes, LVC a présenté en 2009 sa propre déclaration des droits des paysannes et paysans, dans laquelle les paysans exprimèrent de manière synthétique leurs aspirations et leurs demandes. Peu de temps après, en 2010, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) mandata son comité consultatif d’élaborer une étude préliminaire analysant les moyens de renforcer les droits des paysannes et paysans et des autres personnes. Cette étude recommande (a) d’implémenter de manière plus efficace les normes existantes, (b) de combler les lacunes normatives par le droit international et (c) d’élaborer un nouvel instrument législatif sur les droits des personnes travaillant en zone rurale (Par. 63). En septembre 2012, le Conseil des Droits de l’Homme passa une résolution établissant un groupe de travail intergouvernemental ayant le mandat d’élaborer un projet de déclaration des droits des paysannes et paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

Pertinence de la déclaration
L’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, a déclaré qu’il y a « quatre raisons principales d’adopter un nouvel instrument international relatif aux droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales : c’est un outil nécessaire en droit international ; il permettra de combattre plus efficacement la faim dans le monde ; il sera un moyen de protéger l’agriculture familiale de la pression de l’agro-industrie ; il permettra également d’améliorer l’accès aux moyens de production dans les zones rurales. » Il a également souligné que « l’adoption d’une déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en zone rurale augmentera la visibilité sur les droits déjà reconnus en droit international tout en permettant de faire reconnaître de nouveaux droits, comme le droit à la terre, le droit aux semences ou le droit à une compensation pour les pertes provoquées par les subsides accordés aux agriculteurs dans d’autres pays» .

Mobiliser pour les droits des paysans, des petits pêcheurs, des éleveurs et des autres personnes travaillant dans les zones rurales
Dans des pays comme l’Indonésie ou la Colombie, les paysan-ne-s ont historiquement toujours dû faire face à une profonde discrimination et à une violence omniprésente. L’appel pour la reconnaissance des droits des paysans a permis d’attirer l’attention de la population locale et a été un atout majeur pour leur permettre de faire respecter leurs droits. Cela leur a permis de renforcer leurs capacités de mobilisation et d’organisation ainsi que leurs revendications pour des politiques et des lois qui protègent et promeuvent leurs droits. Ces dernières années, plusieurs lois et politiques prenant spécifiquement en compte la situation des paysans ont été adoptées en Indonésie. En Colombie, les revendications des paysan-ne-s et des populations rurales ont figuré parmi les priorités de l’agenda politique national après des décennies de négligence.

Marche à suivre
Le groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer le projet de déclaration a tenu sa quatrième session en mai 2017 [Voir la déclaration conjointe sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales avec the International Union of Food, Agricultural, Hotel, Restaurant, Catering, Tobacco and AlliedWorkers’ Associations (IUF), the World Forum of Fisher Peoples (WFFP), the World Alliance of Mobile Indigenous Peoples (WAMIP), International IndianTreaty Council (IITC), the Federation of Rural AdultCatholicMovements (FIMARC), and the Centro de EstudiosLegales y Sociales (CELS) présentée à la fin de la seconde session en février 2015.]. Mise à part l’importance d’avoir une déclaration des Nations Unies affirmant les droits des personnes travaillant en zone rurale, le processus d’élaboration a le potentiel de devenir un outil permettant :
• d’approfondir le dialogue et le rassemblement de différents groupes de personnes vivant en zone rurale et ;
• de sensibiliser la population et de contribuer au renforcement des capacités des mouvements de la société civile.
La reconnaissance des droits des personnes vivant en zone rurale dépasse le CDH des Nations Unies. Elle peut être réclamée aux autres agences de l’ONU, et de manière encore plus importante, aux autorités locales, nationales et régionales. Il appartient à tous, citoyens et organisations, de se joindre à cette lutte selon leurs moyens.

Sous les feux de la rampe 2

Le droit à la résistance

Trente-cinq paysans philippins, dont dix femmes, risque d’être emprisonnés à la suite d’une accusation de vol des propriétaires de plantation de cocotiers qui ont rassemblé un total de 19 plaintes à leur encontre. La culture de noix de coco est une zone agricole sensible au niveau de la distribution des terres dans la cadre du programme des réformes agraires. Aujourd’hui, les paysans doivent récolter plus de 22 000 dollars pour pouvoir payer leur propre caution et leur garantir une liberté temporaire. Malheureusement, la pauvreté et la récente destruction de leurs récoltes après le passage d’un typhon les empêche de réunir la somme demandée. Certains se retrouvent ainsi contraints de se cacher, emportant avec eux leurs enfants et forçant donc leur déscolarisation pour un certain temps. La criminalisation est l’un des outils utilisés par les propriétaires et les intérêts commerciaux pour harceler les paysans sans terre et les communautés rurales. Ils se servent ainsi du système législatif pour s’opposer aux réformes agraires qui menacent leur monopole de contrôle et de possession des terres. De nombreux cas, similaires à celui-là, ont été recensés dans des pays du Sud où les institutions et les structures judiciaires sont en train de devenir des instruments de répression et où les procédures judiciaires sont manipulées par ceux qui détiennent les richesses et le pouvoir politique.

La violence autour des luttes des peuples pour la souveraineté alimentaire devient affreusement banale et commune dans le monde. Elle apparait sous la forme de menaces, d’intimidation, de force physique et d’abus de pouvoir des autorités publiques, des élites et des acteurs non-étatiques. Du Cambodge au Brésil, les communautés rurales sont de plus en plus confrontées au danger de la violence lorsqu’ils se battent pour défendre leurs terres, leurs eaux, leurs forêts, leurs ressources, leurs moyens de subsistance et leurs droits de l’emprise des extractivistes, des mesures et projets destructeurs, souvent au nom du « développement ». Les femmes, les jeunes et les enfants sont les plus exposés. Amener les responsables des violations des droits humains en justice se solde par des échecs systématiques et ne fait que renforcer la culture de l’impunité tout en représentant un déni du droit à la justice des victimes.

La violence, l’abus de pouvoir et l’impunité ne sont pas inconnus au monde rural, mais la violation des droits des peuples et la criminalisation des défenseurs des droits se sont étendus et ont atteint des niveaux alarmants ces dernières années [Voir Bulletin Nyéléni n°14 et Newsletter Volume III No. 4, August 2016]. Cette croissance peut être attribuée au rapprochement entre intérêts politiques et commerciaux, aux lois répressives ainsi qu’au modèle de développement qui criminalise ceux qui s’opposent à l’accaparement des terres, à la déforestation, à l’industrie minière, aux barrages et aux injustices socio-économiques. Les communautés locales et les mouvements populaires en marche pour la construction de la souveraineté alimentaire sont les premières cibles visées car la souveraineté alimentaire entrave la croissance et le développement économiques basés sur des investissements à grande échelle, sur l’agriculture industrielle, les systèmes alimentaires, la privatisation et l’extractivisme. Le moyen le plus efficace et le plus simple pour nuire à la souveraineté alimentaire est d’affaiblir ses défenseurs. La violence physique et légale est devenue une arme de premier choix pour les entreprises, les élites et de nombreux gouvernements pour réduire au silence les dissidents et les opposants mais aussi et surtout pour empêcher les peuples d’imaginer des mondes différents du paradigme économique dominant.

Cependant, les mouvements des communautés et des peuples autour du monde s’organisent pour mettre un terme à la criminalisation des petits producteurs et à l’impunité des états et des entreprises dans des pays où les espaces pour une réelle démocratie se réduisent, voire sont inexistants, c’est le cas notamment pour l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Cambodge, la Thaïlande, l’Equateur, le Brésil et bien d’autres… Ces luttes veulent défendre la dignité humaine et naturelle, protéger les droits fondamentaux et les libertés mais aussi obtenir une comptabilité exacte de la part des institutions, des structures et des personnes au pouvoir. L’engagement indéfectible des mouvements populaires pour défendre la souveraineté alimentaire montre toute l’importance du renforcement et de la défense des alternatives au néolibéralisme et au pouvoir entrepreneurial, tout en articulant le bien-être et le progrès depuis les points de vue des victimes de différentes formes d’injustices, et notamment les femmes.

Bulletin n° 30 – Éditorial

Faire progresser le paradigme de la souveraineté alimentaire

Illustration: Angelo Monne | www.angelomonne.org

Nous célébrons cette année le dixième anniversaire de l’inoubliable Forum international pour la souveraineté alimentaire, qui a eu lieu au Mali en 2007. Le forum a rassemblé plus de 500 paysans, pêcheurs, bergers, autochtones, ouvriers, migrants, femmes, jeunes, consommateurs, chercheurs et journalistes en provenance de 80 pays dans le but de construire un mouvement international pour la souveraineté alimentaire. Le Forum a été appelé Nyéléni, en hommage à une légendaire paysanne malienne, source d’inspiration pour tous.

Depuis lors, Nyéléni est devenu un espace de pratique, de rassemblement, de synergie et de forces productives dans le seul but de renforcer les différentes conditions de la souveraineté alimentaire. Ces conditions incluent la défense et la protection des terres, de l’eau, des territoires, des semences et de la biodiversité, la réforme agraire redistributive, la sécurité de l’accès à la terre, aux territoires et aux ressources, l’agroécologie et l’agriculture paysanne durable, la production et la commercialisation coopératives, la résistance à la domination des multinationales, l’accaparement et le contrôle des semences, des terres, de l’eau, des technologies, du savoir, des marchés et des décisions politiques, la résistance à la privatisation, le démantèlement des régimes d’échanges commerciaux néolibéraux, la fin de la criminalisation des communautés en première ligne et des défenseurs des droits, le respect des droits des petits fournisseurs et ouvriers alimentaires.

Le paradigme de la souveraineté alimentaire s’est étendu, à l’instar des menaces qui pèsent contre lui. La convergence des crises climatiques, financières, économiques et énergétiques de ces dix dernières années a déclenché une explosion de projets d’infrastructures à grande échelle, d’exploitation minière, pétrolière, gazière et forestière, de plantations industrielles forestières, de centres de vacances de luxe, de développements immobiliers, de zones économiques spéciales, de fausses solutions climatiques comme REDD+, et enfin de commerce de carbone bleu et de carbone du sol. Les populations rurales sont en train de perdre leurs terres et leurs territoires, et, dans leur tentative de protection des fondations mêmes de leurs vies, elles font face à éternelle une augmentation de la criminalisation, de la violence et de la militarisation.

Les nouveaux accords de libre-échange (ALE) menacent la souveraineté alimentaire de par leurs drastiques réductions tarifaires, leurs règlementations nationales qui suppriment les aides des petits producteurs, et de leurs mécanismes de protection des « droits » des investisseurs qui donnent aux entreprises un libre accès à des secteurs critiques comme les secteurs alimentaire, agricole, commercial, médical et de la santé publique. Les mesures permettant aux multinationales de contrôler la production, l’utilisation, le prix et la commercialisation des semences, de promouvoir le génie génétique, et de breveter des variétés de semences et de plantes (dont beaucoup sont dérivées de matières biopiratées) sont tout aussi dangereuses les unes que les autres. La mégafusion des six multinationales –Bayer et Monsanto, Dow et Dupont, ChemChina et Syngenta– va davantage augmenter leur contrôle sur les semences, les technologies et le matériel agricoles tout en affaiblissant le potentiel productif des petits producteurs à travers le monde.

Cependant, ces menaces sont mises à mal sur de nombreux fronts et niveaux par le mouvement international croissant pour la souveraineté alimentaire. Ces crises récurrentes que subit le monde sont inhérentes au capitalisme, plein de ressource à l’heure de conserver un pouvoir structurel. Tirer sur les ficelles du modèle capitaliste ne peut amener que peu de bien. Ce qu’il faut c’est un profond changement systémique, un changement radical de paradigme, de la compétitivité à la solidarité, de l’extractivisme au respect et de l’exploitation à la dignité. C’est justement ça, le paradigme de la souveraineté alimentaire que le mouvement international présente grâce à des savoirs, des capacités, des ressources et des bases sociales.

ShalmaliGuttal, Focus on the Global South